DIMANCHE MATIN A MEDELLIN
- thomas5jmp
- 12 nov. 2024
- 3 min de lecture
Dernière mise à jour : 14 nov. 2024

Je me réveille en sursaut à 7h30, dimanche matin, au son d’une débroussailleuse qui resonne dans la rue. Je reprends mes esprits et réalise où je suis. Devant moi s’étend une montagne constellée d’habitations : je suis à Medellín. J'ai laissé derrière moi le Canada, si déprimant. Je suis enfin un homme libre. Le jardinier s’éloigne, et je me rendors.
Plus tard, une douce mélodie romantique me tire de mon sommeil. Je sors sur le balcon. En bas, une vieille dame prépare de la viande dans une grande marmite, sur un feu de bois. Un peu plus haut, un autre feu crépite. C’est dimanche, la musique envahit l’air, les enfants jouent dans la rue, et le soleil brille intensément. Je vois des gens revenir de l’église, élégamment habillés. Les femmes, protégées du soleil par des ombrelles, me rappellent ma grand-mère à La Réunion, il y a bien longtemps.
Tout est coloré, vibrant. Les rires des enfants et les aboiements des chiens qui courent partout remplissent l'air d'une énergie éclatante. Je reste là, longtemps, à observer la vie qui m’entoure en sirotant un café. Les passants me saluent. Mes pensées s’égarent vers l’année écoulée : sept mois de prison au Costa Rica, suivis de l'extradition vers le Canada, quatre mois de détention là-bas, puis près de deux mois de liberté conditionnelle avec un bracelet électronique, comme un boulet des temps modernes dans une maison où chaque sortie devait être justifiée, et des rondes constantes, comme en prison.
Quel plaisir, quel bonheur d’être enfin libre, surtout après tout ça. Et surtout ici. Je respire profondément ; tout sent la liberté. Dans l’immeuble d’en face, une jolie femme fait le ménage avec énergie, ses mouvements vifs accompagnant la mélodie ambiante.
J'ai eu plus de contact humain ici en 24 heures qu'en deux mois passés au Canada. Comment des êtres humains peuvent-ils être à ce point différents les uns des autres ?
Les femmes sont splendides ici, et même celles qu'on pourrait considérer comme moins belles rayonnent grâce à leur sourire sincère et chaleureux.
Cela contraste fortement avec l'attitude distante et froide des femmes occidentales, souvent figées dans une posture de pseudo top model, empreinte de mépris, une véritable attitude de poufiasse.
Je prends une douche rapide, puis je retourne sur le balcon. Observer la vie qui s’anime sous mes yeux est une source de bonheur immense. Un groupe de jeunes filles reprend en chœur la chanson qui résonne depuis l'énorme enceinte du voisin, tandis que celui-ci danse, son gros ventre exposé à l'air.
Je sens que la critique du monde occidental va devenir mon sujet de prédilection, c'est plus fort que moi. Comment avons-nous pu en arriver à de tels extrêmes de froideur, d'ennui et d'individualisme, alors que la vie peut être si belle et agréable dans sa simplicité ?
Je veux adopter une approche positive des choses et apprendre à apprécier la vie telle qu'elle est, sans la comparer sans cesse à un système qui me dégoûte. Je souhaite cesser de vivre dans l'opposition et simplement profiter pleinement de chaque moment.
Ce n’est pas simple, car je suis le produit même de ce monde que je cherche à renier. Je porte en moi le problème que je combats. Je suis un fruit pourri, pleinement conscient de ma propre corruption.
Rien que le fait d'avoir toutes ces pensées m'empêche de savourer pleinement ce joli dimanche matin. Ce filtre opaque de la rationalité agit comme un frein, m'éloignant de la simplicité du moment présent.
Je me refais un café et essaie de libérer mon esprit de ce flux incessant de pensées. Un vieux, en face, me salue de la main. Son visage s'illumine d'un sourire bienveillant, un débile. Que peut-il bien penser ? Je l'envie et le méprise à la fois. Ce mélange d'admiration et de dédain reflète la lutte intérieure entre l'envie de vivre dans l'instant et l'impossibilité d'échapper à mes propres pensées.
J'ai envie de me cogner la tête contre la rambarde. Comment puis-je être envahi par tant de pensées, debout ici, en slip, un café à la main.
Bon, je ne suis pas vraiment en slip, mais plutôt en short, peu importe. Je devrais être capable de me détendre un matin comme celui-ci. Mais lorsque l'esprit devient le maître, il fait de nous de véritables esclaves.
Je retourne dans l'appartement et commande par téléphone quelque chose à manger au petit restaurant du coin. En attendant, je me plonge dans un livre de John Fante, Rêves de bunker hill. Plonger dans les pensées d'un autre être torturé, voilà ma façon d'oublier les miennes…
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