LE JUSTE CRI
- thomas5jmp
- 12 nov. 2024
- 2 min de lecture
Dernière mise à jour : 14 nov. 2024

Je suis en train de travailler sur un scénario, plongé dans un état émotionnel chaotique. Les scènes se dessinent dans mon esprit, portées par une musique aérienne. Je vis les émotions, elles m’envahissent, et la frontière entre le personnage et la réalité se brouille, se superpose. Soudain, un vieux qui vit dans la maison de transition entre dans la pièce. Il enlève son manteau bon marché et le pose sur la chaise juste à côté de moi. Sans prêter attention à ce qui se passe à côté de lui, il allume la télé. Je jette un coup d’œil, les yeux encore brillants, et l’écran diffuse The price is right. (La version américaine du juste prix, la version originale !).
La scène est d’une absurdité et d’une cruauté étourdissante : moi, submergé par mes émotions, et lui, inconscient, absorbé par la banalité de la télévision.
J’enregistre mon travail, incapable de me concentrer avec les hurlements des candidats surexcités, qui rendent toute démarche artistique et créative impossible. Je jette un coup d’œil. Le vieux fixe l’écran, parfaitement immobile. Aucune émotion, aucune réaction apparente. Est-il en train de passer un bon moment ? À l’écran, une femme en surpoids, vêtue de manière médiocre, hurle en sautant sur place : elle vient de gagner un scooter électrique d’une valeur de 2 675 dollars. Ses énormes seins semblent l’empêcher de s’arrêter de sauter, comme si elle était prise dans un mouvement perpétuel.
L'émission vient à peine de commencer et déjà, elle est interrompue par des publicités. Le vieux reste parfaitement immobile, figé devant l’écran. Est-il toujours vivant ? Tente-t-il de deviner les prix dans sa tête ? À l'écran, une autre hystérique, apparemment venue de l'Ohio, vient d'être sélectionnée pour l'étape suivante. Son estimation du prix d'une paire d'enceintes Bluetooth s'est avérée la plus proche de la réalité.
Une fille magnifique, au corps parfait et au sourire complètement débile, présente silencieusement les articles du jeu suivant. Ses gestes, gracieux mais mécaniques, rappellent vaguement ceux des hôtesses de l'air. Elle se déplace sans un mot, remplissant parfaitement sa fonction purement esthétique, tel un objet décoratif, une plante verte dans ce spectacle absurde.
La connasse de l'Ohio est éliminée, et une nouvelle séquence de publicités commence. Un spot vante les vertus d’un médicament quelconque. Apparemment, il a changé la vie des deux vieux acteurs souriants à l’écran. Le vieux à côté de moi, est-il en train de penser à l'acheter ? Est-il sensible aux arguments marketing ? Son cerveau, vieux et usé, est-il encore réceptif aux messages subliminaux qui le ciblent sans relâche ?
Je me demande si, quelque part dans cette immobilité, il est pris dans la toile de cette absurdité télévisuelle, ou s’il a simplement lâché prise, abandonné.
Le moment d’intérêt sociologique du début se transforme peu à peu en torture. Je referme mon laptop, me lève, et me dirige vers la chambre, le cerveau saturé de cris stridents et de prix en dollars. Une cacophonie absurde qui m'éloigne de toute concentration, me laissant avec un sentiment de vacuité totale.
Alors que je m’éloigne, j’entends le son caractéristique du jackpot retentir. Un connard vient de décrocher le gros lot ! Ce bruit grotesque me pousse à accélérer un peu le pas, comme pour fuir au plus vite cette ambiance médiocre et déprimante.
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