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TEXTE PICTURAL

  • thomas5jmp
  • 15 nov. 2024
  • 6 min de lecture

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“L’ordre républicain est un ordre de domination, non un ordre de liberté.” - Jean-Paul Sartre


Je me réveille et décide d'aller m'entraîner un peu dans le petit parc juste en bas de l'immeuble. Je fais de la barre fixe, des dips et des pompes. Cela faisait un moment que je ne m'étais pas entraîné, et c'est agréable de sentir le sang affluer dans mes muscles.

Je regagne ensuite mon appartement, prends une douche, commande encore de la nourriture au même restaurant, puis décide d'aller visiter le musée d'art moderne de Medellín.

Le Musée d'Art Moderne de Medellín (MAMM), créé en 1951, est situé dans le quartier d'El Poblado, l'un des quartiers les plus huppés de la ville. El Poblado est connu pour ses rues animées, ses restaurants haut de gamme, ses centres commerciaux modernes et ses espaces verts. Ce quartier dynamique combine un cadre urbain moderne avec des collines verdoyantes, offrant à la fois une atmosphère cosmopolite et un accès à la nature. Le MAMM, dans son bâtiment au design contemporain, s'intègre parfaitement dans ce décor vibrant.

L'entrée coûte 24 000 pesos, soit un peu plus de 5 $. Au Canada, les musées coûtaient environ 30 $, et en plus, le prix est plus que doublé pour les étrangers. Les Colombiens ne payent que 11 000 pesos (soit environ 2,5 $ !). L'art se doit d'être abordable, car pour apprécier un musée, il faut y retourner souvent. Je développe des relations avec les œuvres, et dès que je retourne dans une ville, je me précipite au musée pour revoir celles que j'ai aimées, comme une ancienne conquête avec qui on aurait partagé quelque chose de fort. Même si elle a connu plusieurs hommes, on se dit qu'on a été le plus important dans sa vie...

Dès que je pénètre dans un musée, je me sens chez moi. C'est un lieu où je trouve une paix intérieure, un espace où le temps s'arrête, un refuge où je peux me reconnecter à quelque chose de plus grand, plus profond, à un autre moi que j'ai trop longtemps renié et qui est mon véritable moi.

J’aimerais être capable d’écrire un poème qui produirait le même effet qu’une peinture. Un poème qui toucherait directement le système nerveux, l’âme, mais malheureusement les mots passent d'abord par la raison, contrairement à ce qui se passe lorsqu’on regarde une peinture ou une sculpture. Quand on observe une œuvre, l’émotion frappe immédiatement, elle traverse l’âme avant d’être filtrée par la réflexion intellectuelle. Cela se produit ainsi, bien entendu, si l’on est sensible à l’art, si l’on a une âme d’artiste.

Mais beaucoup, eux, passent d’abord par la raison et gâchent ainsi leur relation avec l’œuvre, en cherchant à tout rationaliser. Ce sont les intellectuels qui décomposent et analysent chaque détail.  Ce dialogue entre l'œuvre et l'admirateur est personnel, façonné par les expériences et les sensibilités propres de chacun. Ainsi, chaque interaction avec une œuvre est unique, car elle dépend de l'histoire, des émotions et des perceptions individuelles de celui qui la contemple.

Dans la lecture, le processus est inversé. Les mots nous amènent d’abord à raisonner, et ce n’est qu’ensuite que les émotions et les sensations en découlent. Peut-être ai-je choisi le mauvais médium, car les mots limitent toujours la pensée.

Cela fait plus d’une demi-heure que je suis devant une œuvre, un tableau de Débora Arango, une artiste colombienne, intitulé La República. L’image centrale représente une femme dévorée par des oiseaux. En arrière-plan, des formes abstraites et des silhouettes floues contribuent à créer une atmosphère oppressante. Les couleurs sombres, dominées par des nuances de rouge, de noir, de bleu et de jaune, rappellent le drapeau colombien et renforcent la tension de l’œuvre.

Les émotions m’envahissent, se contredisent, fluctuent. Elles sont inexplicables, indéfinissables, et c’est très bien ainsi. Je vis pleinement l'instant, dans une totale spontanéité, sans tenter de conceptualiser. Je suis libre dans cet univers où il n'y a ni règles strictes ni cadre défini, seulement une immersion totale dans le moment présent, une interaction libre avec l'œuvre qui ouvre l’âme à des sensations nouvelles et imprévisibles. C’est un espace fluide, où l’individu se laisse porter par ses émotions, sans chercher à tout expliquer ou à tout saisir intellectuellement. C’est un lâcher-prise, une forme d’émerveillement.

Puis, peu à peu, les émotions se calment, et l’interprétation prend place. Les oiseaux peuvent symboliser la violence et l'oppression. Ils attaquent la femme, qui semble incarner une métaphore de la société colombienne, écrasée sous le poids d’un pouvoir autoritaire. Arango utilise cette scène pour dénoncer l'injustice et la répression du régime, en illustrant comment les institutions politiques (la République) se nourrissent de l’innocence et du sacrifice du peuple, tout en mettant en lumière la brutalité de l’ordre social et politique.

L'art me libère, car il m'affranchit des contraintes matérielles, sociales et temporelles. Il ouvre un espace où je peux échapper aux limitations du quotidien, où les règles et les attentes de la société ne s'appliquent plus, où même les lois physiques ne règnent plus. Dans l'art, je trouve une forme de liberté pure.


Un peu plus tard, je suis assis à la terrasse d’un bar non loin du musée, encore un peu perdu dans toutes les émotions par lesquelles je viens de passer. Je suis entouré de tables bondées, immobile, sans même jeter un œil à mon téléphone. Je fixe devant moi. Mon corps est ici, mais mon esprit vagabonde, flottant dans ce que Platon aurait appelé le monde des essences, un monde intelligible, une réalité distincte et supérieure au monde sensible que je perçois avec mes sens.

J’écoute les conversations autour de moi, toutes aussi futiles et vides les unes que les autres, surtout celles de deux Américaines à côté de moi. Si je me laissais aller, je leur balancerais mon macchiato pour qu’elles la ferment. Elles ne parlent que d’elles-mêmes, avec une attitude arrogante, presque virile, et des expressions faciales exaspérantes. Je détourne mon attention vers une autre table, l’agacement commençant à monter. Deux Colombiennes, gracieuses et féminines, échangent des sourires et des rires tout en se tenant la main. Leur complicité dégage une douceur apaisante qui me calme instantanément.

Soudain, un chien surgit des buissons. C’est un genre de gros caniche, au poil parfaitement entretenu, d’un bleu-gris élégant. Il est propre et porte un collier, ce qui indique qu’il n’est pas un chien errant, mais il ne semble être accompagné par personne. Il fait plusieurs tours entre les tables, se cognant violemment contre les chaises, puis disparaît dans les buissons. Quelques instants plus tard, il revient rapidement, dépose un bout de bois qui ressemble à du liège devant moi, puis s’assoit, me fixant intensément, l’air fier.

Je l'appelle, mais il reste immobile, me fixant de ses yeux intelligents et bienveillants, presque plus humains que ceux des deux Américaines à côté de moi. Une femme s’approche et me demande si c’est mon chien. Quand je lui réponds que non, elle reste perplexe et ajoute qu'il m'aime bien, en tout cas. On se fixe un long moment (avec le chien, pas avec la femme), Je ressens une étrange sensation, comme si j'étais sur le point de le comprendre. Puis, il reprend son bout de bois et s'éloigne en courant dans tous les sens, disparaissant dans le tumulte de ses mouvements.

Je termine mon café froid, bien trop cher, et remarque une trace de bave laissée par le chien sur le sol. Sans savoir pourquoi, cela me perturbe. L’ennui m’envahit. J’en ai assez d’être ici, tout est trop luxueux, trop aseptisé. Comme dirait ma grand-mère de la Réunion, ici, ils jouent trop les blancs. J’ai envie de retourner dans mon quartier populaire, bruyant, où les gens se parlent simplement.

Je marche sous la pluie qui commence à tomber, et un sentiment de soulagement m'envahit. J’arrive dans un quartier où ne se trouvent que des garages auto et des ateliers de soudure, de métallurgie. Tout est noir, sale, viril, l’odeur du métal coupé flotte dans l’air. Le contraste avec l’endroit que je viens de quitter est frappant, mais il correspond parfaitement à mon état d’esprit du moment. Je ralentis le pas, observant un peu les échoppes. Une beauté brute, crasseuse, émerge de tout cela. Les travailleurs s’affairent à des tâches concrètes, utiles, loin de l’apparence stérile et superficielle de ce que je viens de quitter.

La pluie redouble. Je vois un petit taxi jaune passer, je l'interpelle et monte devant. Je donne l'adresse au chauffeur, qui est sympathique mais ne cesse de parler. Sa conduite par à-coups, l'intense trafic et son débit de paroles me donnent le tournis et rendent le trajet épuisant.

J'arrive enfin dans mon quartier. Il me dépose en contrebas, car les voitures ne peuvent pas accéder à ma rue. Je monte les marches qui mènent chez moi et passe devant le bar. Je salue les gens, même si je n'habite ici que depuis une semaine, je fais déjà partie des lieux. Ils installent un auvent et un grand écran pour regarder un match de foot. On m'invite à m'asseoir et on m'offre une bière. Je commande un plat à emporter, termine ma bière, en refuse une autre, puis, épuisé par une journée chargée d'émotions intenses et contradictoires. Je retourne enfin dans mon petit appartement, l'esprit troublé par des pensées floues et négatives à l'égard du système républicain.

 
 
 

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